L’abus de droit en fiscalité et le récent mini abus de droit.

    Edmond Verdier

    La notion d’abus de droit connaît une certaine célébrité dans le domaine juridique : il s’agit en effet d’une notion fortement mobilisée tant en matière civile que dans celle fiscale. Aussi, il est important de bien comprendre qu’en fonction du domaine sollicité, le sens attribué à l’abus de droit variera. Mais alors, au sens de la matière fiscale, que constitue un abus de droit ?
    L’abus de droit
    L’abus de droit fiscal sert à sanctionner les contribuables qui utilisent le droit fiscal d’une manière jugée excessive par l’administration, dans le but de tromper cette dernière sur leur niveau d’imposition. En droit, la notion d’abus de droit fiscal correspond à deux catégories définies par l’article L64 du livre des procédures fiscales :
    – L’abus de droit fictif : il correspond à tout acte qui a un caractère fictif, c’est-à-dire qu’il atteste d’une situation inexistante ou erronée dans le seul but d’obtenir un avantage fiscal.
    o L’abus de droit fictif peut l’être par la fictivité, c’est-à-dire en créant un acte qui n’a aucune véracité. Ex : prétendre qu’une SCI est créée (alors que non) pour opérer une transmission de patrimoine familial (la SCI est fictive). En fait, l’acte est fictif en ce que la situation qu’il établit n’existe pas.

    o Ou l’abus de droit peut l’être par dissimulation : c’est lorsqu’un acte est constitué de manière erronée puisqu’il n’est là que pour cacher l’existence d’un autre. Ex : une convention de vente qui dissimule en réalité une donation. Exemple de la location-gérance d’un fonds de commerce suivi d’une vente du matériel au locataire afin d’éviter l’imposition de la cession du fonds.

    – L’abus de droit par fraude à la loi : Ce dernier correspond à l’utilisation par un contribuable d’un acte emportant des conséquences fiscales (par une application littérale des textes juridiques détournant l’objectifs poursuivis par les lois) afin d’éviter ou de réduire des charges fiscales. L’utilisation d’un tel acte n’ayant pu être inspiré par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait par principe dû supporter au regard de sa situation réelle : le but de cet acte est donc exclusivement fiscal.
    Par exemple, c’est le cas d’une société qui va réaliser un montage particulier dans un but exclusivement fiscal : elle ne tire aucun autre avantage de son opération qu’un purement fiscal. Ex : une société qui dès lors qu’elle est constituée et qu’elle a attribué ses dividendes et peut retirer son crédit d’impôt, cède immédiatement ses titres Ici, seul un but exclusivement fiscal était à la base de cette opération.
    Il est important de noter que depuis une décision fondatrice rendue par le Conseil d’État le 27 septembre 2006 dite Janfin n°260050, la notion d’abus de droit au sens fiscal a vu sa définition réécrite : l’abus de droit fiscal peut désormais concerner tous les actes et non plus uniquement les contrats/conventions.
    Répression et sanction de l’abus de droit
    Il existe un principe général des abus de droit : c’est-à-dire qu’un abus de droit peut être reconnu/caractérisé peu importe l’impôt en jeu (par exemple si l’abus de droit est dans le cadre d’un crédit d’impôt, l’IR etc.) et que le litige soit relatif à l’assiette de l’impôt ou à son recouvrement. De même qu’il peut être reconnu sur des actes écrits ou non écrits, bilatéral ou multilatéral.
    Procédure de redressement pour abus de droit fiscal : Une procédure de redressement pour abus de droit fiscal peut ainsi être établie par l’administration fiscale qui va notifier le redressement au contribuable : le contribuable concerné disposera alors de 30 jours pour répondre à une telle notification. Par la suite, il est offert la possibilité au contribuable de saisir sous 30j suivant la dernière réponse de l’administration fiscale, le Comité consultatif pour la répression des abus de droit. Attention : l’avis rendu par ce dernier restera purement consultatif.
    Non opposabilité des actes passés en abus de droit : Si l’abus de droit est reconnu, l’administration fiscale sera en droit d’écarter comme ne lui étant pas opposable l’acte réalisé en abus de droit. S’agissant de la sanction encourue par le contribuable, l’article 1729 du code général des impôts prévoit une majoration des impositions de 80% de ce dernier (comme pour une fraude). Pour éviter une telle sanction, la possibilité de passer préalablement par un rescrit fiscal est toujours ouverte au contribuable : l’administration tranchera sur la question de ce dernier en soulignant s’il s’agit ou non d’un abus de droit.
    Sur la preuve de l’abus de droit : la charge de la preuve repose sur l’administration fiscale. C’est ainsi elle qui devra prouver qu’un élément intentionnel peut être reconnu comme constituant un abus de droit fiscal. C’est-à-dire qu’il y a eu des manœuvres frauduleuses (ce qui peut être difficile à prouver en pratique) : cela peut se démontrer par la méthode du faisceau d’indice (c’est-à-dire qu’il faut voir s’il y a une pluralité d’éléments suffisamment précis et concordants qui montrent qu’il y a eu des manœuvres allant vers un objectif de fraude).
    Le mini abus de droit
    Définition
    Le nouveau dispositif du « mini abus de droit » mis à disposition de l’administration fiscale en 2020 a été institué par l’article 109 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019. Ce dernier est retranscrit à l’article L64A du LPF et ne peut trouver à s’appliquer que pour les actes constitués au 1e janvier 2021.
    Le mini abus de droit fiscal vient se superposer à la procédure initiale d’abus de droit de l’article L64 du livre des procédures fiscales. Ce mini abus de droit permet à l’administration fiscale d’écarter tout acte réalisé non pas dans un but « exclusivement fiscal » (comme prévu pour le domaine d’un abus de droit fiscal classique), mais pour tout acte avec un but simplement « principalement fiscal ».
    Un mini abus de droit ne concerne que les actes réunissant à la fois un élément « objectif » (c’est-à-dire « l’utilisation d’un texte à l’encontre des intentions de son auteur »), et un élément « subjectif » (c’est-à-dire « la volonté principale d’éluder l’impôt »). Par exemple, ces deux éléments combinés se retrouvent dans les montages dépourvus de substance économique, réalisés par des entreprises à des fins fiscales.
    La caractérisation d’un « mini abus de droit » fiscal est bien souvent complexe : dans le cadre de la réalisation d’un acte, il est difficile de prouver qu’un contribuable n’a poursuivi qu’un but principalement fiscal. En effet, un acte peut poursuivre d’autres objectifs (patrimonial, économique ou encore financier). En pratique, l’on considère qu’un acte a été réalisé pour un but principalement fiscal lorsque ces différents objectifs (autre que l’objectif fiscal) sont négligeables par rapport à celui-ci.
    Ainsi, pour qu’un « mini abus de droit » fiscal soit écarté, il convient de concilier la liberté d’optimisation fiscale du contribuable (lui permettant d’opter pour la situation fiscale lui étant la plus favorable), avec l’appréciation par l’administration fiscale d’un but « principalement fiscal ». Il faut alors voir d’une part si le contribuable peut bénéficier d’un avantage fiscal expressément prévu par la loi parce qu’il répond aux conditions d’application, ou alors si ce dernier ne peut en bénéficier que par la mise en place de montages juridiques. D’autre part, le contribuable, qui se place fictivement dans une situation pour bénéficier d’un avantage dont il n’aurait pas dû pouvoir bénéficier et qui, en se plaçant dans cette situation, va à l’encontre de la volonté des rédacteurs du texte.
    Dès lors, la procédure de « mini abus de droit » fiscal est un complément de la procédure de l’abus de droit fiscal classique : l’administration fiscale peut décider de se placer sur l’une ou l’autre de ces procédures pour sanctionner un contribuable.
    Répression et sanction
    S’agissant de la sanction de ce mini abus de droit, cette dernière est moins lourde que celle de l’abus de droit classique puisqu’il n’y a pas d’automaticité des pénalités et qu’il ne peut y avoir qu’une majoration. Autrement dit, si l’administration fiscale arrive à démontrer que le « mini abus de droit » fiscal est délibéré, elle pourra établir une majoration de 40%, et si elle démontre qu’il y a eu des manœuvres fraudeuses, la majoration sera de 80%. Donc, bien que cette procédure du mini abus de droit soit répertoriée au même article que celle traditionnelle, elle reste une procédure bien distincte puisque sa sanction n’est pas une majoration d’office.